samedi 10 avril 2010

L'histoire d'une épopée indienne



Retour sur une formidable révolution informatique

La participation de l’Inde à l’économie mondiale, faible jusqu’en 1991 s’est formidablement accrue au cours de la dernière décennie. Le domaine des technologies de l’information est devenu le secteur emblématique de ce nouveau rang mondial de l’Inde avec une croissance annuelle de 50 % dans le domaine des logiciels depuis 1991 et des exportations qui dépassent quatre milliards de dollars (1999-2000). L’Inde « pays de hautes technologies » est une image ancienne mais parfois très condescendante comme l’illustrent les manuels scolaires avec par exemple l’image d’un satellite indien amené sur son pas de tir à Shriharikota (Andhra Pradesh), le Kourou indien, mais dont le transport s’effectue sur un char à bœufs.

Au delà du slogan lancé en 1998 par le 1er ministre Atal Behari Vajpayee de transformer l'Inde en une "Superpuissance des technologies de l'information", nous analyserons dans un premier temps l’ampleur de la révolution des technologies de l’information en Inde. Puis après avoir mis en évidence les déterminants de cette révolution, nous dresserons un portrait de cette nouvelle géographie de l’Inde qui transforme les rapports de la société à son territoire aussi bien dans l’espace national que sur la scène mondiale.

Le tournant des Nouvelles Technologies de Communication

On peut parler d’une Révolution des technologies de l’information. Ce tournant dans la voie économique indienne se manifeste dès 1984 avec la Nouvelle Politique Informatique (New Computer Policy) suivit en 1986 par une orientation plus manifeste vers les exportations et la formation aux nouvelles technologies (Policy on Computer Software Export, Software Development and Training). Conformément à la constitution indienne, l'Etat central joue ici un rôle majeur dans la ré-orientaion de la politique économique. Après 1991, les mesures en faveur des nouvelles technologies se multiplient. Le système des licences est aboli dans ce secteur pour l'importation des composants électroniques, du matériel informatique, des consommables. Des mesures de défiscalisation des profits sur les exportations et d'exemption de taxes lors des cinq premières années d'activité complètent cet assouplissement des échanges de biens. L'Etat encourage la construction de nouvelles infrastructures comme les Zones franches industrielles (Export Processing Zones – EPZs) et autorise la création d'entreprises tournées exclusivement vers les marchés extérieurs (100 % Export Oriented Units - EOUs).

L'objectif de l'Etat ne se limite pas à la construction d'une économie de substitution aux importations de biens informatiques. Le développement du secteur des nouvelles technologies apparaît dans un premier temps comme un facteur de rééquilibrage de la balance des paiements et dans un second temps comme un facteur de modernisation de l'ensemble de l'économie. En effet, La forte mobilité des biens, des hommes et des capitaux du secteur des NTIC requièrent des moyens spécifiques. Un réseau de communication à haut débit ce qui est une gageure, dans un pays où le taux de pénétration du téléphone est encore inférieur à 3 %, comparé aux 10 % de la Chine et à la moyenne mondiale de 15 %. Pour combler ce retard, Reliance Industry construit un réseau de fibre optique de 60.000 km pour relier les 115 plus grandes villes indiennes.
La nouvelle économie suppose une capacité de réaction qui ne doit pas être ralenti par l'obtention d'autorisations et de certificats administratifs. Là encore, le passé industriel indien impliquait une véritable révolution bureaucratique afin de suivre le rythme de développement des NTIC. La faible taille initiale des entreprises de ce secteur plaide en faveur de mesures de soutien à l'esprit d'entreprise sous la forme d'aides financières et de la mise à disposition d'infrastructures.
La solution retenue a été la création de deux types de parcs technologiques l'un pour le matériel (Electronics Hardware Technology Parks - EHTPs) et l'autre pour la production de logiciels (Software Technology Parks - STPIs). Le concept de ces parcs technologiques repose sur une très forte délégation de pouvoir et la création d'un guichet unique pour résoudre tous les problèmes administratifs. Ainsi, les directeurs de ces parcs fournissent toutes les autorisations nécessaire aussi bien au lancement d'une entreprise qu'à l'exportation de leur production. Pour des projets à concurrence de 2,4 millions de dollars, le directeur du parc peut étudier la viabilité du projet et accorder son autorisation en quelques heures. Pour résoudre le problème des communications, chaque parc a été doté d'une station de transmission par satellite dont les services sont loués aux différentes entreprises.

Le premier parc technologique de logiciel a vu le jour à Pune en 1990, suivit quelques mois plus tard par deux autres créations à Bangalore et Bhuvaneshwar. Le succès est indéniable puisqu'il en existe aujourd'hui 20 centres avec plus de 900 entreprises affiliées.

Le rôle môteur de la diaspora américaine

La diaspora indienne aux Etats-Unis s'est constituée à partir d'un noyau de diplômés qui n'ont pu trouver au pays des débouchés appropriés. Ils se sont installés d'autant plus facilement outre-atlantique qu'ils avaient bien souvent achevé leur formation supérieure grâce à des programmes d'échanges avec des universités américaines. Les premiers migrants ont trouvé des emplois dans les universités et les centres de recherche, ainsi que dans les entreprises d'électroniques. Aujourd'hui,10% des employés de Microsoft et près de 800 cadres dirigeants dans les entreprises informatiques de la Silicon valley sont d'origine indienne. Première conséquence de la présence massive de la diaspora indienne dans les NTIC, l'externalisation des activités des entreprises américaines se fait au profit de sociétés indiennes. Le plus souvent, la société choisie a été fondée par un ancien employé de retour au pays.

En effet, au début des années 80, dans la Silicon valley, certains indiens expatriés ont créé leur propre entreprise de nouvelles technologies comme Kanwal Rekhi fondateur d'Exelcan ou Vinod Khosla fondateur de Daisy System. Lorsque ces start-up à succès sont rachetées par des opérateurs plus importants, respectivement Novell et Sun Microsystem, la fortune de leur créateur est investie dans des sociétés de capital-risque. Grâce aux contacts qu'ils ont maintenu avec leur famille ou leurs camarades de promotion, ils choisissent d'investir en Inde dans un secteur qu'ils connaissent bien, les NTIC. Kanwal Rekhi est le président d'IndUS Entrepreneurs, une association d'entrepreneurs d'origine indienne dont l'objectif est de répliquer le modèle de la Silicon valley dans leur pays d'origine. Elle compte plus de 600 membres.

Une autre forme de soutien au secteur des NTIC est le financement de la formation, Gururaj Deshpande, fondateur de Sycamore Networks a donné au IIT de Chennaï, dont il était originaire, 100 millions de $ en 20 ans. Les Instituts indiens de Technologie (IIT) ont ainsi reçu près de 1 milliard de $ par leurs anciens élèves. La diaspora indienne joue donc un rôle primordial dans le développement de la nouvelle économie indienne en privilégiant cette destination pour l'externalisation des tâches à faible valeur ajoutée de l'informatique, la part des exportations vers les Etats-Unis (62 %) l'atteste. Elle participe activement au transfert de ces hautes technologies et parfois aussi à la création d'entreprises soit par investissement direct, soit par une migration de retour.

La capacité à gravir l’échelle de la valeur ajoutée

La révolution des technologies de l’information a commencé par le recrutement d’informaticiens en Inde pour les faire travailler dans les entreprises américaines. Dans l'échelle de la valeur ajoutée, il s'agit d'un niveau inférieur qui succède à la simple saisie de donnée. En 1988, 65 % des contrats d'exportation pour les logiciels se déroulaient entièrement sur le site du client. En conséquence 75 % du travail de développement informatique indien était réalisé outre-atlantique. Ces informaticiens expatriés doivent obtenir un visa H-1B de travail temporaire dont le nombre est limité à 60.000 par an toutes nationalités confondues. Mais lorsque la pénurie s'accentue comme en 1999, le nombre d'entrées a été porté à115.000 dont 46 % pour des indiens. Aujourd'hui la part de ces activités n'est plus que 45 % (1999-2000) contre 90 % en 1988, car l'industrie indienne du logiciel évolue vers des productions à plus forte valeur ajoutée comme l'externalisation du développement informatique ou l'adaptation de logiciels. Les entreprises indiennes remonte la chaîne de la valeur ajoutée et investissent dans la recherche développement car c’est le dépôt de brevet qui assure les meilleurs profits. Ainsi Wipro a passé des accords de RD avec Cisco system, Alactel ou Fujitsu. TCS se lance dans de la recherche bio-informatique avec un laboratoire spécialisé dans l’analyse ADN et des empreintes digitales. A Mumbaï, vient de s’installer le 2° Laboratoire Média du MIT (inventeur du DVD), après l’Irlande, pour développer des outils favorisant la diffusion nouvelles technologies dans l’ensemble de la population (terminaux plus simples que les PC, lancement du Simputer pour « Simple, Inexpensive and Multilingual » (simple, pas cher (200$) et multilingue)).

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On peut donc à bon droit utiliser l'expression de "nouvelle économie" pour l'Inde. La révolution informatique bouleverse à la fois le système productif et les relations entre l'Etat et l'économie du pays

Cette révolution des technologies de l’information transforme également l’espace et la société indienne au point de faire émerger de nouveaux espaces d’innovation, de provoquer un basculement du dynamisme économique du N vers le S et de proposer un modèle alternatif de mondialisation.

Extraits de l'étude : « Un nouveau géant des technologies des communications : l'Inde » rédigée par Eric Leclerc, Maître de conférence en Géographie physique, humaine, économique et régionale à l'Université de Rouen.

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